Selon la brise de mer de Stanwell Park

Quentin Lefranc – Selon la brise de mer de Stanwell Park

L’agence, Paris
25 mars – 02 avril 2016
Exposition collective avec Ronan Le Creurer et Marie-Johanna Cornu.
Collective exhibition with Ronan Le Creurer and Marie-Johanna Cornu.

 

Selon la brise de mer de Stanwell Park réunit des approches distinctes de la notion de paysage à travers l’exposition de trois œuvres qui composent, dans un dialogue croisé une nouvelle réalité paysagère encadrée par l’espace de l’exposition. Prises de vues différenciées d’une même notion, les problématique soulevées par chacune de ces pièces n’aboutissent à aucun traité du paysage. Nous sommes invités, au contraire, à abandonner nos habitudes visuelles et à fabriquer, à travers ces œuvres, de nouveaux territoires.
Les paysages qui se succèdent, s’attirent et se superposent sont conçus comme une écriture, une réalité mouvante telle qu’une image informée par la brise de mer. Le point de départ est la côte de Stanwell Park. Espace accidenté, où la mer, la montagne et la végétation s’entrechoquent, ce site expose le paysage comme le résultat d’une dynamique insaisissable de la nature — où trois grands naufrages ont eu lieu — et une image devenue domestiquée par l’industrie du tourisme
L’approche de ce lieu proposé par Ronan Le Creurer sera toute à fait différente. L’artiste conçoit ce paysage comme quelqu’un qui fabrique ce qui est déjà là. Non pas une nature sauvage antérieure à l’homme, mais plutôt le lieu où ont été mises en place les expérimentations aériennes de Lawrence Hargrave. Avec Bird box, Le Creurer revisite les cerfs-volants cellulaires parallélépipède de l’ingénieur australien. L’artiste joue le rôle d’un archéologue et d’un inventeur, re-créant la scène à la fois anachronique et futuriste qui a donné naissance à l’engin de Hargrave. Outre le déplacement temporel, Le Creurer produit encore une modification de l’échelle du projet original. La machine volante, capable d’élever l’homme à quelques kilomètres du sol, devient elle-même une sculpture suspendue. Ce dernier déplacement révèle aussi son choix d’un autre type de problématique indirectement contemplée par l’œuvre de départ. En plus de faire une enquête sur la mobilité de l’homme dans l’air, la sculpture de l’artiste revient sur la question du paysage conçu ici par des données esthétiques, matérielles, techniques et temporelles. Bird box est à la fois la représentation d’un projet d’aspect utopique et conçu par des techniques rudimentaires, une forme activée et rythmée par le mouvement du vent, un objet informé par une sorte d’arrêt temporel et énergétique. Le paysage se constitue comme un rideau de fond de sa sculpture, une architecture préfigurée par son propre corps, exposée ici dans un espace contraire à son mouvement potentiel.
Le projet de Hargrave — duquel Le Creurer extrait une sorte de poétique du mécanisme — nous amène à une autre question liée au paysage contemporain: les photographies aériennes et son bouleversement de l’image de la terre. Si la sculpture de Le Creurer dessine un paysage du haut par une vue d’en bas, l’œuvre Camouflage de Marie Johanna Cornut conçoit le paysage comme une sorte de mise à plat d’un terrain accidenté.
Le paysage conçu par son œuvre nous rappelle les images abstraites de la surface terrestre produites par l’éloignement aérien, et l’agencement non géométrique des couleurs semble être produit par la déformation des perspectives visuelles provoquées par le mouvement de l’avion. Pourtant, l’artiste est parvenu à ces résultats par des voies bien différentes. Conçue à l’occasion d’une exposition à Dusseldorf, la première version de son œuvre jouait avec l’espace en verre et la végétation qui encadrait son mur peint. Pour l’exposition présente, Cornut a choisi de retravailler son projet original en modifiant son support et son échelle. Son paysage est ainsi une réécriture d’un paysage antérieur. Déplacée de son contexte original, son installation active une autre dimension de la stratégie du camouflage. Si avant, l’œuvre était conçue comme une méthode de dissimulation, ici elle n’essaie pas de se cacher, au contraire, elle capture par ses zones informées de couleurs le regard du spectateur. La stratégie mise en jeu n’est pas de l’occultation par une dispersion de l’œuvre dans l’espace d’exposition, mais faire immerger le regard dans une surface colorée dont il ne peut pas estimer les dimensions. Le regard est ainsi trompé, pas à travers les effets mimétiques-illusionnistes, mais par le rythme imprimé par les zones colorées, puisque ici les couleurs se repoussent ou s’attirent créant des volumes sur une surface qui, on le sait, est en réalité plate. L’œuvre de Cornut fait sortir le spectateur de la linéarité des observations de terrain et l’invite à traverser, par une déambulation sans points de repères, un paysage qui se forme et se déforme par l’agencement des zones colorées.
De la vue verticale et oblique de Camouflage nous passons, par le Dos au Paysage de Quentin Lefranc à une prise de vue horizontale de la plage de Stanwell. Un banc renversé prolonge l’image photographique. Il fait la médiation entre l’image accrochée sur le mur et l’espace concret de la salle d’exposition, ainsi que entre le temps figé par le registre photographique et le temps présent de la prise de vue de l’œuvre par son observateur. Il démarque également la frontière entre deux conceptions différentes du paysage. D’un côté, celui mis en jeu par la photo, où le paysage se conforme aux codes de la perspective renaissantiste. Et d’un autre côté, ce qui se déroule de manière imprévue dans l’espace concret de la salle d’exposition. Du paysage comme représentation mentale et instrumentale, nous passons au paysage éphémère fabriqué par des pratiques et des usages de l’espace, un territoire construit in loco par des formes concrètes d’habitation. Si, par le titre l’artiste semble justement nous inviter à porter attention sur ce deuxième paysage, le banc démarque la position du spectateur en tant que prolongement de la scène figée de la plage. Il nous resitue exactement dans ce lieu de médiation entre la représentation informée par la culture et le territoire produit par des pratiques sociales et des expérimentations sensibles. Le banc fonctionne ainsi comme une figure vide au centre du paysage photo qui expose une absence ou une présence toujours différée. Le spectateur, divisé, est à la fois mis à distance et convoqué au centre de la représentation. C’est à lui de créer un paysage devant un autre paysage qui lui attribue son rôle.
Selon la brise de mer de Stanwell Park propose une immersion dans des paysages imprévus. Paysage en tant que territoire d’inscription et recréation de la mémoire. Paysage qui met le sujet hors d`un dehors sans objet. Paysage créé par la superposition entre une réalité concrète informée par des codes picturaux et un territoire fabriqué par des habitions imprévues de l’espace de l’exposition. Enfin, paysage comme une mise en abîme des paysages réels et imaginés, produit lui-même à travers des approches expérimentales et mouvantes des réalités paysagères.

Carolina Alfradique Leite