Parisianisme

Première exposition personnelle, par Marie Trifault, Parisianisme magazine

Quentin Lefranc est sans contexte l’un des jeunes espoirs de l’art contemporain. Issu de l’école des Arts Décoratifs de Paris, il réalise des installations au croisement des disciplines artistiques mêlant peinture, sculpture, architecture et parfois même musique qui interviennent hors de leur contexte classique et dans une remise en cause infinie de l’espace dont dispose l’artiste. Chacune de ses pièces donnent ainsi une impression d’espace sans frontière et d’éléments semblant tombés du ciel pour constituer l’oeuvre. Celle-ci pourra aller jusqu’à tenter le visiteur qui souhaiterai ré-agencer les composants de l’oeuvre,
les possibilités restant sans limite.

L’oeuvre Devo, dernièrement présentée en juin au prix Marin, est un parfait exemple de sa signature. Pour cette installation il s’était intéressé à la posture développée par le groupe Devo des années 70, lorsqu’ils reprennent le morceau Satisfaction des Rolling Stones pour en extraire les composants, les faire muter et les confronter à d’autres textures musicales punk ou disco. Comme il le dit lui même Quentin : « à chaque fois par la citation, dans mon travail, je ne reprends pas juste les idées visuelles, ce n’est pas seulement un prolongement formel. Il s’agit plutôt de remettre en cause et au goût du jour une attitude, une posture, une critique mise en place préalablement. Lorsque Devo reprend Satisfaction, il le rejoue, le restructure pour critiquer entre autres la posture de la rock star. Cette idée de reprise m’intéresse beaucoup, c’est un moyen de donner une autre dimension à l’espace que je crée matériellement en rappelant la posture critique adoptée par d’autre . »

Si vous avez manqué le rendez-vous de ses précédentes expositions, vous pourrez regarder cela de plus prés à la Galerie Jérôme Pauchant du 5 septembre au 10 octobre prochain où il exposera, avec Benjamin Collet, sept de ses plus belles pièces. Mais pour en savoir un peu plus, nous avons été l’interroger directement pendant l’accrochage.

Bonjour Quentin, au sein de la Galerie Jérôme Pauchand, tu as collaboré avec Benjamin Collet. Peux-tu nous parler de lui, de votre relation au sein de cette exposition ?

La collaboration a été initiée par la galerie et Benjamin a été présent dés le début pour échanger et construire le projet d’exposition. Il a vraiment joué une posture critique, un œil extérieur qui se retrouve en quelque sorte dans la manière dont il est ensuite intervenu. Sa présence est visible par deux annotations dans l’exposition. La première est un texte, la seconde est ce fameux ciré jaune à la fin de l’exposition, placé un peu comme un écho à la chaise jaune de Judd en vitrine. Benjamin est venu perturber et ponctuer à travers ses propres codes, un léger pas de côté au travers de l’exposition. Nous avons des manières différentes d’utiliser les images, cette collaboration permet de prolonger mes pièces et d’y porter un autre regard empreint d’humour. C’est finalement une sorte d’ouverture qu’il m’offre.

L’exposition que tu prépares s’appelle Pictures seemed not to know how to behave , pourquoi ce choix ?

Ce choix a été fait de manière très simple, pour l’exposition j’ai choisi d’articuler un certain nombre de pièces dans l’espace qui font écho à des périodes, des mouvements, des époques très différentes de l’histoire de l’art et des évènements qui se sont passés en parallèle de celles-ci. Suite à une première sélection de pièces et à une première présentation du projet, Benjamin Collet m’a fait suivre un ensemble de notes qu’il a écrit et ensemble nous avons choisi le texte qui est présent sur le carton d’invitation (sur fond rouge). D’ailleurs on le retrouvera dans l’exposition. A partir de ce texte nous avons extrait cette phrase qui est devenue le titre, nous l’avons choisi ensemble. Elle m’a plu car elle évoque en quelque sorte la manière par laquelle je m’approprie le patrimoine culturel.

A mon sens, la rapidité et la manière par laquelle circule aujourd’hui les images et les informations, a beaucoup transformé notre manière de regarder les choses. Cette situation a transformé le geste des artistes. Je ne suis ni peintre, ni photographe, ni designer, ni musicien, le champ des possibles s’est ouvert. Nous pouvons circuler à travers différents gestes ou postures additionnés à la manière de samples, de matériaux chargés de sens. Une fois introduits à la combinaison artistique, ils trouvent un sens nouveau. Ce qui m’est donné de créer n’a plus besoin d’être définitivement positionné. Ainsi, des éléments de peinture peuvent se retrouver dans la sculpture, dans l’architecture, la musique etc… L’ensemble peut s’entremêler sans appartenir à un domaine particulier, tout peut être étroitement lié. Je ne cherche pas à ce que la situation soit définie d’avantage. Je mets en place des zones d’activité, d’attention ou les éléments empruntés à divers domaines peuvent se rencontrer. J’insère, je rejoue sans cesse des formes de notre patrimoine culturel. La posture de recyclage est un moyen de prolonger, rejouer et répéter un certain nombre d’images. Il ne consiste pas, dans cette juxtaposition de détail, à surenchérir en produisant des images d’images, mais il s’agit d’utiliser les codes de la culture, d’inventer, de rassembler des protocoles des situations à partir de structures formelles préexistantes.

Le processus consiste à inventer des itinéraires à travers la culture, à créer des parcours parmi les signes, à mettre en lien des formes qui n’ont pas forcement de lien au premier abord. Nous sommes des programmateurs davantage que des compositeurs. Nous évoluons dans un ensemble de formes préexistantes et de signaux déjà émis où nous effectuons des choix de mise en place en inscrivant l’œuvre dans un réseau de signes rassemblés. L’ensemble fait apparaître un espace qui fonctionne comme la terminaison temporaire d’un réseau d’éléments interconnectés afin de provoquer de nouveaux scénarios. Comme un récit qui prolongerait et réinterprèterait les récits préexistants, l’insertion des objets dans de nouveaux scénarios est en quelque sorte une manière d’écrire, à travers un dispositif, notre propre histoire.

C’est de cette manière là que j’ai construit l’exposition. J’ai réuni un certain nombre de pièces de façon assez dense pour que ce ne soit pas dans la galerie une présentation de pièces les unes par rapport aux autres, mais plutôt un entrecroisement en les faisant se répondre les unes avec les autres, comme un ensemble de plans qui se chevauchent, s’entremêlent et parfois perdent leur propre identité afin de créer un espace.

Quand Benjamin dit que les images ne savent pas trop comment se comporter, je pense qu’il appartient à chacun de s’approprier le patrimoine culturel et de circuler à travers pour en faire ressortir le nécessaire.

Peux-tu nous parler plus précisément des oeuvres que tu vas présenter ? Pourquoi cette sélection ?

J’ai considéré cette exposition comme un ensemble de fragments qui, une fois juxtaposés, constituent un ensemble. A partir de certaines de mes pièces qui existaient avant l’exposition, j’ai réfléchi à la manière dont elles pouvaient se juxtaposer. Je ne voulais pas que cette exposition soit considérée comme une suite plus ou moins chronologique d’idées, mais plutôt de proposer et d’assembler différentes pièces pour montrer les différentes manières d’articuler mes recherches. Ainsi je montre que mon travail provient de sources très diverses ; il n’est pas lié à un mouvement ou à une époque précise, même si certaines formes sont récurrentes. Ce que j’ai essayé de faire dans cette exposition est de construire un espace, à travers différents éléments juxtaposés, entremêlés comme peut le faire un peintre pour un tableau. Chacune de ces pièces n’a pas forcément de lien au premier abord mais les matériaux et la manière dont je les ai articulé me permettent de tisser des liens entre elles.

La première pièce dont je voudrais parler est Black Flag, en référence au groupe de musique éponyme. Pour cette pièce, j’ai reconstitué leur logo à travers quatre plans de peinture : le premier est une toile libre, le deuxième est un châssis peint et démonté, le troisième est un voile et le quatrième une planche de bois peinte. Cette pièce fonctionne comme le vocabulaire de l’exposition, on retrouvera l’ensemble de ces matériaux dans mes autres pièces.

La deuxième pièce fait référence à Donald Judd avec la chaise construite pour accompagner ses oeuvres à Marfa dans sa fondation. Ce qui m’intéresse est que cette chaise a été faite pour que le mobilier accompagne au mieux les œuvres. L’anecdote est qu’il avait dit qu’une chaise n’est pas une sculpture car, une fois assit dessus, on ne la voit pas. Pour moi, au moment du montage et du démontage, elle est dans une situation d’équilibre et d’articulation de plans qui fait qu’elle est à l’état sculpturale ou picturale. Cette deuxième pièce sera présentée en référence à Judd mais dans une posture sculpturale.

La troisième est la photographie d’un blockhaus de la côte atlantique qui s’enfonce dans le sable. C’est un de ces blockhaus appelé Tobruk, des cellules très simples qui basculèrent avec le temps dans le sable. Elles deviennent sculptures et perdent donc leur utilité première, cette photo en témoigne de façon documentaire.

Toujours dans cette approche oblique, la quatrième pièce est In Principio (E poi), je suis partie de l’architecture de la Neue Nationalgalerie de Ludwig Mies Van Der Rohe dont le dessin est une grille orthogonale. J’en ai fait une marquette qui est devenue socle pour un autre élément trop grand basculant à l’oblique. Ce deuxième élément se retrouve coincé entre cette maquette et les murs de la galerie. L’idée est de dire que l’architecture à toujours, pour les artistes, la fonction de socle. Nous sommes toujours dépendants de l’espace dans lequel nous présentons nos différentes oeuvres. C’est ce que j’ai essayé de développer au travers de ce socle noir sur lequel est déposé et contraint cet angle fait par de plans et rappelant les matériaux de Black Flag.

La cinquième pièce est une affiche évoquant un tableau de Jean-Baptiste Greuze, un peintre du XIXème siècle. Cette fois, je change encore d’époque et de support, je prolonge la scène et le titre de Greuze par un dialogue.

La sixième pièce est Fragment n°2 où je reprends l’idée d’une peinture sur une toile tendue sur châssis, la toile étant transparente on voit la structure de ce dernier apparaitre. Cette structure dessine comme un fragment de perspective d’un tableau, telle la peinture à l’oblique hollandaise. Je joue entre l’idée du mot peinture qui peut être résumée à une toile tendue sur châssis et l’idée du tableau qui est déjà le dessin dont la base du sol sert un peu de fondation au tableau.

La septième et dernière pièce à pour point de départ à nouveau une chaise : la Berlin Chair de Gerrit Rietveld dont je reprends le procédé (comme pour Judd) et que je place dans une situation d’inconfort, de déséquilibre puisqu’elle se situe entre le montage et le démontage. Pour leur rigueur, la construction de mobilier avec des plans peints et leur appartenance à deux moments de l’histoire de l’art essentiels pour moi, je voulais faire ce parallèle entre Judd et Rietveld. Je voulais finir l’exposition sur cette dernière pièce car il y a dans l’ensemble de l’œuvre de Rietveld, cette volonté d’éclater la peinture dans l’espace. C’est ce que j’ai essayé de faire dans l’exposition en articulant ces sept pièces. Cette chaise qui n’en est plus une ou pas encore une, dont l’état peut être l’état sculptural. Les deux murs peints permettent de montrer qu’il ne s’agit pas d’un simple dépôt de mes pièces dans l’espace, il s’agit d’avantage de constituer un ensemble et de l’idée de développer différents éléments de peinture à travers la galerie.

J’ai lu que tu participeras à la 66ème édition de Jeune Création à la Galerie Thaddeus Ropac en janvier 2016, peux-tu nous en dire plus ?

Je suis en train de réfléchir à ce que je vais faire, mais pour le moment je ne veux pas trop m’avancer. Soit je vais présenter une seule pièce ou je constitue une zone où s’articule différents éléments. Les choix restent à faire.